Fortification
Le nom d’llla (ad Yla ) apparaît pour la première fois dans les textes en 884, comme le confront du monastère St-Clément de Reglella.
Ille aurait subi avec la même rigueur le sort de tous les villages de ce côté des Pyrénées, si ses remparts, impuissants assurément pour protéger la cité contre les assauts répétés d’une troupe organisée, ne l’avaient toutefois mise à l’abri des bandes moins nombreuses et des coups de mains des groupes de pillards. La vue aérienne montre parfaitement le tracé des 3 enceintes.
L’observation du plan de cadastre du vieil Ille nous permet d’imaginer la morphogenèse du village à l’époque médiévale. Le découpage parcellaire donne un aperçu de la disposition des trois murailles successives qui ont protégés la ville au cours de son extension, à travers les siècles. Il semble que le souci primordial des habitants fut de faciliter leur défense par le moyen du resserrement et de l’épaulement réciproque des maisons dans les rues étroites, de façon à présenter un front fortifié le moins tendu possible.
Même avec le nouveau périmètre délimité par la troisième enceinte, la largeur des rues continua à rester assez médiocre. Les habitants continuèrent à obéir au désir de resserrer leurs demeures en vue de plus grandes facilités pour la défense, et peut-être aussi à un esprit d’empiètement qui poussait chacun à ne laisser à l’usage commun que l’espace le plus réduit.
Datation des trois enceintes
Dès 1117, Ille est le siège d’une seigneurie. Une forteresse (forteda ) est mentionnée à Ille en 1157, il ne s’agit vraisemblablement que d’une tour, comme le précise un acte postérieur de 1169 . II sans doute question de la tour de l’Alexis, bâtie au XI s. De cette époque date probablement la première enceinte.
Au surplus, les renseignements que l’on possède sur les villages fortifiés voisins montrent qu’au XIeme et XIIeme siècles, on s’est occupé activement de fortifier les agglomérations. Des remparts furent élevés à Vinça en 1019, à Eus et à Villefranche en 1095, à Thuir en 1124, à Elne en 1156, à Marquixanes et à Rivesaltes en 1172. Cette préoccupation générale des villages de se protéger laisse penser qu’un pareil souci dût animer la population d’Ille à la même époque.
En 1279, Galcerand d’Urtx concède certains privilèges aux habitants de son castrum (village fortifié) d’Ille, la ville comportait donc déjà une enceinte, certainement la première en date. Effectivement, l’année suivante, en 1280, il est fait acte d’une vente d’une maison sise à Ille extra muros.
La deuxième enceinte correspond à l’extension du village au moins dès 1280. Selon DELONCA, la proximité de la frontière franco-aragonaise définie par le traité de Corbeil de 1258, est également une des raisons de la construction de cette deuxième ligne de remparts.
Pour la troisième enceinte et bien qu’il s’agisse de celle encore entièrement visible, les renseignements font défaut sur l’époque où elle fut élevée. Elle aurait été construite au XIVe siècle, intégrant les nouveaux faubourgs développés au cours des XIIIeme et XIVeme siècle.
Cette nouvelle enceinte était en cours de construction en 1334 selon l’expression : “in muro veteri” utilisée dans un acte de cette époque. Cette nouvelle enceinte qui venait d’englober l’église de la Rodone, n’était pas encore bien fermée en 1356 car cette année-là, le bailli somme les consuls de faire “portalerias in Portali prope eclesiam beate Marie” (les vantaux du portail près de l’église Ste Marie). En 1362, la population est essoufflée par les dépenses “intolérables” provoquées par la construction des remparts, des fossés et des fortifications: les prêtres “par pure libéralité”, donnent 1000 sous pour les travaux en question. Enfin apparaît en 1375 Guillaume Conill, ” commissaire ad faciendum opera vallium ” pour faire les travaux des fossés.
Par des recoupements de documents relatifs à l’histoire de Canet on peut essayer de déterminer approximativement une date de construction pour la troisième muraille illoise. On sait en effet que, dès 1354, les vicomtés d’Ille et de Canet étaient réunies sous l’autorité des vicomtes de Fenouillet après le décès, quelques années auparavant, de Raymond de Canet, mort sans héritier.
En 1344, le roi d’Aragon, Pierre IV, s’était emparé du royaume de Majorque et, dès 1365, il s’était préoccupé de renforcer les fortifications de Perpignan par crainte des Grandes Compagnies qui, après le traité de Brétigny (1360) marquant la fin de la première période de la guerre de Cent Ans, pénétrèrent en Roussillon et dévastèrent le pays : ” Du côté de Saint Jacques on construisit des pans de remparts; sur les bords de la Basse on répara plusieurs tours. Ces travaux furent exécutés pendant les années 1367 1369. C’est alors que fut élevé le Castillet”.
Cependant les villages de la plaine, surtout ceux qui comme Ille étaient situés près de la frontière française, se trouvaient tout autant exposés aux incursions, de ces bandes pillardes. Pierre IV et son fils, Jean I d’Aragon, se préoccupèrent de leur défense. C’est ainsi que le 3 septembre 1390, Jean I renouvelle à Pierre III de Fenouillet le privilège suivant: pendant 20 ans, dans les villages et châteaux appartenant au vicomte d’Ille et de Canet, la part de l’impôt sur le pain, le vin et la viande revenant au roi, sera destiné à la fortification de ces lieux.
Le même privilège avait été concédé par Pierre IV à André de Fenouillet. Donc les vicomtes d’Ille et de Canet fortifièrent leurs possessions pendant une période que l’on peut situer entre 1370 et 1410. C’est au cours de cette période et plus précisément aux environs de 1390 que la dernière enceinte d’Ille peut avoir été construite ou tout au moins profondément remaniée. En effet à cette même date les trois consuls de Canet avaient fait édifier une tour et un mur par Pierre Balle, maçon de Perpignan, construction en tous points semblables aux remparts formant la troisième enceinte d’Ille.
De plus la similitude entre l’église fortifiée de la Rodone et l’église fortifiée de St-Martin de Canet ( et même l’église St-Clément de Régleilles) est frappante et donne l’impression d’avoir été voulue par un même maître d’oeuvres qui aurait été chargé par les vicomtes de Fenouillet de fortifier leurs villes d’Ille et de Canet.
Bibliographie : Emile & Léon Delonca, Un village en Roussillon
Photos : Jacques Brest