Géographie

Ce pays, situé sur la rivière de la Tet, dans la plaine du Roussillon, est baigné et fécondé par les eaux courantes. Elles ont déterminé sa vocation agricole et sont sa parure ; elles en ont fait un lieu de prédilection pour les cultures fruitières.

Quand les derniers frimas de l’hiver ont fait place aux premiers effluves du printemps, Ille, vu de la rive gauche de la Tet, apparaît, dans le décor magnifique que constituent la masse imposante et les cimes neigeuses du Canigou, comme une vision de paradis. Cerisiers, abricotiers, et surtout pêchers, multipliés comme les arbres d’une forêt, épanouissent dans une atmosphère de fraîcheur leurs fleurs blanches ou roses, portant dans leurs corolles la promesse des fruits les plus savoureux. A leurs pieds, d’opulentes cultures maraîchères laissent deviner la richesse du sol et le sourd travail par lequel la terre les nourrit.

Au bas de la terrasse qui s’étale sur la rive droite de la rivière, les yeux éprouvent un nouveau ravissement à la vue des nombreuses fontaines qui jaillissent à cet endroit et répandent alen­tour leurs eaux d’une limpidité parfaite et d’une fraîcheur incomparable.

Le village lui-même est groupé sur cette terrasse. Les toits en tuile rouge apparaissent au-dessus des remparts qui pendant de longues années ont protégé la cité, et, dominant de sa forme monumentale la masse des maisons, l’église dresse son architecture imposante et son clocher carré dans l’éclatante luminosité du ciel.

Formation géologique

La contrée où se situe ce village était, au début de la période tertiaire, une mer vaste et profonde. Les eaux marines s’enfonçaient entre les derniers chaînons des Pyrénées représentés aujourd’hui par le cap Béar et les Corbières prolongées jusqu’à la falaise de Leucate. Entre les deux promontoires restés debout après l’affaissement de la chaîne, les vagues venaient battre des rivages aujourd’hui disparus et que remplacent des paysages familiers à nos yeux.

Combien de temps s’écoula entre cette période et la suivante. Les siècles n’ont pas marqué sur le terrain leur empreinte particulière. Les géologues nous enseignent pourtant qu’à la fin du tertiaire, la croùte terrestre se fendit dans la région au sud-ouest d’Ille ; une grosse masse de granit en fusion s’éleva et donna naissance au Canigou. Pendant la période de régression marine qui suivit, les eaux se retirèrent du fond du golfe en plusieurs étapes. Enfin l’emplacement qui forme le territoire actuel d’Ille fut dégagé et le retrait de la mer mit à découvert un épais dépôt d’alluvions. Sur cette première couche qui constitue le substratum du sol de la plaine d’Ille sont venus se superposer de nouveau sédiments apportés par la Tet et les torrents descendus de la montagne.

Géographie de la contrée

Les accidents géologiques dont il vient d’être question ont donné un aspect varié au pays. On y distingue trois zones : de chaque côté de la vallée une zone montagneuse, puis la plaine proprement, dite et, enfin, un vaste sillon tracé par la Tet.

La région montagneuse du nord, dont l’altitude ne dépasse pas 400 mètres, est coupée par de nombreux ravins que les eaux ont creusés en se déversant vers la Tet. Elle a ,subi au cours des siècles des transformations nombreuses. Une des principales a été l’abandon par la Desix, rivière de Sournia, de son tracé primitif qui, avant d’être orienté vers l’Agly, en faisait un affluent de la Tet. Toute cette zone montagneuse dont la surface s’étend sur environ 100 hectares, soit près de la moitié du territoire d’Ille, est parsemée de rochers énormes avec, entre leurs amoncellements, un sol arénacé, provenant de la désagrégation du granit. Sur ces terrains, pendant des millénaires, l’action des eaux a poursuivi implacablement son oeuvre. On peut en mesurer l’étendue par les changements survenus dans le paysage depuis seulement une cinquantaine d’années. En ce court espace de temps, certains lieus ont vu leurs formes se modifier sensiblement. Le plateau élevé de Matte Rodone, où une vieille coutume illoise voulait que fût allumé, la veille de la Saint-Jean un grand feu, visible de tous les points du territoire, est devenu impraticable et ses alentours ont changé de physionomie. Là où l’érosion donnait à ce terrain l’aspect d’une succession de pyramides, on voit se former maintenant des colonnes semblables en tous points à celles qui se dressent dans le décor des Orgues; tandis que sur l’autre versant de la colline, des murailles d’un à pic absolu se prolongent jusqu’au torrent de la Retxe, comme une coupe taillée expressément pour les géologues.

Les Orgues, dont nous venons de parler, est le témoin le plus caractéristique de ce travail d’érosion. Les eaux ont respecté là des terrains des anciens âges. Dans la série des couches sédimentaires s’est trouvée une mince couverture de galets enrobés dans une argile non délitable. Cette couverture, maintenue par plaques, a entravé l’action des pluies et celle-ci a cessé de s’exercer à partir du moment où la dalle supérieure imperméable a formé un toit protecteur de tout l’édifice. Le terrain s’est trouvé découpé, et il en est résulté les formes les plus variées, depuis de simples colonnades jusqu’à des piliers de cathédrale et des masses architecturales comparables à des châteaux forts Mais la forme la plus frappante qu’elles présentent en général, c’est celle de tuyaux d’orgues; pour cette raison ce site porte dans le pays le nom de “les Orgues d’Ille”.

La région montagneuse du sud est limitée par les communes de Saint-Michel-de-Llotes et de Corbère, qui ne laissent au territoire d’Ille que les pentes schisteuses et boisées de Montoriol et de Saint-Maurice.

Entre les deux chaînes montagneuses s’étend la plaine, dont la largeur est de près de 2 kilomètres. Elle est dominée à l’ouest et au sud par deux terrasses, celles des Escallârs et de Campcarder, reste des paliers successifs mis à découvert par le retrait des eaux. Au-dessous, une couche sablonneuse règne d’une manière constante à une profondeur de 4 à 10 mètres. Dans ces sables, une importante nappe d’eau souterraine est en mouvement ; elle alimente les puits d’Ille et vient sourdre au bas de la falaise qui limite le lit majeur de la Tet, en donnant naissance aux fontaines abondantes dont il a été déjà parlé.

C’est dans la bordure nord de cette plaine que la Tet, après de nombreux changements, a filé son cours. Tandis que jusqu’à Rodès elle coule dans un étroit sillon, dès son entrée dans le territoire d’Ille son lit s’élargit et s’étend sur plusieurs centaines de mètres.

Caractères distinctifs

Le tableau qu’on vient de tracer fait ressortir la place que le territoire d’Ille occupe dans la géographie du Roussillon. L’élargissement de la vallée, l’écartement progressif des montagnes qui, à partir de Rodès, s’abaissent et s’éloignent définitivement de la rive droite pour se confondre avec la plaine près de Thuir, ont permis la formation d’un bassin bordé de collines sur trois faces, qui rappellerait la structure des cuvettes entièrement fermées du Conflent si l’atténuation de la pente, en favorisant le dépôt des alluvions, n’avait fait participer également cette contrée aux avantages de la plaine.

Ce caractère mixte, qui tend à en faire à la fois un site de vallée et un site de plaine, la rend différente des territoires qui l’entourent : différente du Conflent, avec ses alternances de bassins de faible étendue et de couloirs resserrés, et ses terrains d’origine, glaciaire ; différente aussi des régions sans eau de Bélesta et de Montalba ; différente enfin des plaines brisés du Roussillon.

En dehors de ces avantages purement géographiques, d’autres lui viennent du passage à travers son territoire de nombreux canaux qui, avant de porter leurs eaux dans les communes voisines, concourent heureusement à compléter le réseau des irrigations du canal d’Ille et assurent aux moindres parcelles de terre les bienfaits de l’eau.

De nombreux facteurs ont donc contribué à la prospérité du village. Et, en effet, ainsi loin qu’on remonte dans l’histoire d’Ille, cette localité occupe une place privilégiée parmi les centres de population du Roussillon. Cependant, en dépit de toutes les faveurs qui ont comblé ce pays, il lui en a manqué une, celle de posséder un système de vallées transversales assurant de faciles accès et des communications directes avec les contrées voisines. Son isolement, loin des carrefours où se rejoignent les grandes voies de transit et où se concentrent nécessairement les activités commerciales, ne lui a pars permis de profiter entièrement de sa situation centrale dans la province ni des avantages que lui procure la richesse de son sol. On reconnaîtra le bien-fondé de cette observation dans le déroulement des faits de son histoire.

Bibliographie : Emile & Léon Delonca, Un village en Roussillon
Photos : Jacques Brest

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