La Rodone

L’église de la rodone

L’église de la Rodone est postérieure à Saint-Etienne-du-Padraguet. Elle correspond à une nouvelle phase du développement de la cité. Mais, malgré sa date moins reculée, on n’est guère mieux renseigné en ce qui concerne sa construction. Comme pour Saint-Etienne, il existe, dans les archives de l’Hôpital, une masse de documents qui font mention de l’église de la Rodone, attestant ainsi son existence, sans toutefois fournir d’autres détails. En 1016, l’abbé de Saint-Martin-du­Canigou, avant dressé un état des possessions de son abbaye, mentionne un bien que l’abbaye possédait à Ille ” du côté de la vieille église “. Ce document autorise deux hypothèses : ou bien cette vieille église est celle dont nous avons supposé l’existence avant Saint-Etienne-du-Padraguet, ou bien on a voulu désigner l’église Saint-Etienne elle-même. Dans ce dernier cas, il faudrait en inférer qu’il existait déjà une église plus récente. Celle-ci ne pouvant être que la Rodone, il en résulterait que sa construction serait antérieure à 1016.

D’après une autre tradition, en 1796, lors de la récupération du bronze des cloches, une cloche de la Rodone, contemporaine de sa construction et portant le millésime de 1100, aurait été comprise dans la réquisition. Une délibération du Conseil municipal du 21 mars 1836 relate le fait en ajoutant : ” des hommes anciens ont vérifié le fait “.

De toute manière, l’édification de la Rodone est antérieure à 1224 puisqu’à partir de cette époque, les documents recueillis font mention de son existence. La simplicité de son architecture, qui témoigne soit de l’insuffisance des moyens techniques dont disposaient ceux qui l’ont bâtie, soit de la pauvreté des ressources financières mises en oeuvre, engagerait à reporter la date de sa construction antérieurement au XIe siècle. Mais contre cette hypothèse, il y a le fait que cette église a été incorporée dans la dernière enceinte d’Ille. Or, ainsi qu’on l’a fait déjà remarquer, il serait aussi hasardeux de faire remonter la construction de ces remparts à une date aussi reculée, que de supposer qu’on a pu édifier la Rodone avant leur construction, c’est-à-dire hors de l’enceinte dans une position très aventurée.

En définitive, l’époque de la construction de cette église, sans être entourée d’autant d’obscurité que celle de Saint-Etienne-du­Padraguet, reste indéterminée ; en citant les différentes dates approximatives qu’on peut retenir, on ne saurait prendre parti pour les unes plutôt que pour les autres. Le problème reste posé.

L’église était disposée suivant la primitive tradition chrétienne, avec son autel vers l’Orient. La façade, sur les murs de laquelle sont venues s’adosser des maisons, ne présente plus à la vue que le portail roman en plein cintre donnant accès à l’intérieur de la nef et qui, avec un autre petit portail de même style qui lui fait face, constitue toute l’ornementation de l’église. Au-dessus du grand portail, une fenêtre reçoit les rayons du soleil couchant. L’édifice est surmonté d’une grande voûte également en plein cintre qui, malgré l’abandon de l’église et les injures du temps, se présente encore aujourd’hui dans un état de conservation remarquable. A l’intérieur, il ne reste plus de chapelles latérales et toutes traces de sculptures, bien qu’il en ait existé autrefois ont disparu, à l’exception des chapiteaux que l’on voit encore dans le jardin de l’Hôpital et qui, d’ailleurs, ne paraissent pas provenir de l’église elle-même, mais de son cloître .

La nef était vaste et le paraît encore davantage aujourd’hui du fait de sa nudité; avec sa tribune placée au-dessus de l’entrée, elle pouvait contenir un nombre considérable dé fidèles.

Contigu à l’église, le cimetière s’étendait à l’est. Après l’abandon de celui qui entourait Saint-Etienne-du-Padraguet, il devint le lieu habituel des sépultures. Il était déjà en service en 1237 . Sa surface était d’environ 550 mètres carrés. On fut amené à l’agrandir en prenant du terrain du côté du sud-est ; ce qui fut ainsi ajouté, séparé du cimetière primitif par une branche du ruisseau d’Ille s’appela “le cimetière adjoint”, dont la superficie était également d’un peu plus de 500 mètres carrés, mais on lui conserva pendant longtemps son nom de pati de Jau, car c’est sur cet emplacement que fut établi le nouveau cimetière. Enfin, il existait, devant l’Hôpital, un troisième cimetière dit des Etrangers.

La Rodone était consacrée à la Vierge . Dans les documents du temps, elle est désignée sous le nom de iglesi de nostra Senyora de la Rodona ou plus simplement iglesi de Nostra Senyora. Jusqu’à la consécration de la nouvelle église Saint­ Étienne, elle partageait avec l’église du Padraguet la faveur des habitants. Les actes les plus solennels de la vie spirituelle des fidèles s’y déroulaient. Dès le XIIIème siècle, elle était choisie de préférence, par les testateurs, pour la célébration des messes à dire à leur intention après leur mort.

Après la Révolution, l’une des premières questions qu’il fallut régler fut le sort des églises. De toutes les églises et chapelles existant dans la commune d’Ille, seule l’église Saint-Etienne resta consacrée au culte comme église paroissiale. Elle utilisa pour son principal autel et ceux de ses chapelles les statues et ornements que contenait encore la Rodone, fermée pendant la Révolution et définitivement désaffectée .

La Rodone n’était donc plus un sanctuaire, mais l’immeuble restait debout, sa construction massive continuant à la préserver des outrages du temps. Pendant longtemps, la commune considéra que l’édifice était sa propriété. En 1832, la municipalité ayant offert à l’Hôpital de lui en faire abandon en échange d’un terrain où elle projetait d’établir un cimetière, la question de la propriété de l’immeuble fut examinée par l’administration préfectorale et il fallut reconnaître que, d’après le décret de 1806, la Rodone appartenait à la fabrique de l’église Saint-Etienne.

Celle-ci la mit en vente en 1883 pour en consacrer le prix à l’achat d’un presbytère. De son côté, la commune voulait l’acquérir pour y transférer l’école et elle en offrait 2.000 francs, suivant l’estimation des experts. Ce projet fut abandonné et finalement l’immeuble fut vendu à un particulier. Il fut racheté le 30 novembre 1872 par l’Hôpital pour le prix de 3.250 francs. Le vendeur se réserva au nord un terrain inculte, mais il s’interdit d’élever des constructions au-dessus de 2 mètres à partir du sol de l’église, afin de rendre possible l’ouverture de jours sur le mur nord. L’édifice a été recrépi en 1886. La sacristie fut respectée ; elle s’élève toujours sur la face nord comme un bastion du rempart.

La destinée de la Rodone n’a pas été seulement de changer de propriétaire ; ses vicissitudes l’ont contrainte à subir toutes sortes d’affectations. Sous la Révolution, sa grande nef fut transformée en salle d’hôpital : elle servit ensuite pour les réunions publiques et telle fut son utilisation jusqu’en 1935. Elle devint le réfectoire des réfugiés mentonnais au moment de l’exode de 1940 ; quelques mois plus tard, elle servit pour le même objet à la compagnie de travailleurs étrangers chargés des travaux de restauration du canal d’Ille après l’inondation d’octobre. Les Allemands en firent une étable pour leur bétail. Les services des Ponts et Chaussées l’ont finalement transformée en magasin à ciment. Telles sont les tribulations qui ont voué à une destination bien éloignée du spirituel un édifice qui fut le berceau de la cité et où pendant près de mille ans ont été scellés tous les actes solennels des générations passées.

Bibliographie : Emile & Léon Delonca, Un village en Roussillon
Photos : Jacques Brest

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